Une histoire véridique (et retranscrite dans une gazette parisienne) circule après la mort de la marquise du Châtelet. Un soir de décembre 1749 au château de Lunéville, un soldat voit le spectre d’Emilie dans la salle du théâtre, pris d’effroi, il tire sur le fantôme et tombe à la renverse…
Voici la véritable histoire telle qu’elle fut racontée dans la Bigarure :
“La Marquise du Châtelet étant morte à Lunéville(10 septembre 1749) dans un appartement du château où le Roi Stanislas l’avait logée, on fut obligé, pour ne point faire passer le corps mort dans les autres appartements qu’occupe Sa Majesté, de le transporter dans une salle contiguë, dans laquelle est le théâtre de la Cour et “même” de faire passer le cadavre sur la scène de ce Théâtre.
Cette cérémonie se fit le soir à la lueur de quelques flambeaux et dans un silence lugubre.
Un soldat, posté près de cette salle, fut témoin de cette scène qui fit apparemment sur lui une impression des plus vives. Son tour étant venu de monter la garde, et d’occuper le même poste qu’il occupait le soir de l’enterrement de la Marquise, ce vaillant guerrier, se rappelle de cette cérémonie lugubre qui l’avait vivement frappé.
Plein de cette idée, il jette mille mille fois les yeux dans la salle du Théâtre où brille la réverbération d’une lumière assez faible…
Son ombre se mêlant à cette lueur lui jette aussitôt l’effroi dans l’âme.
Il aperçoit, ou du moins il croit apercevoir un Spectre et plus il regarde, plus il l’examine, et plus il se conforte dans cette idée : c’est la Marquise, selon lui, qui lui apparait; Ce font ses traits, son air , sa démarche , sa taille , en un mot il n’y a plus à en douter. Dans cette persuasion la frayeur saisit notre homme, & le saisit au point, que quelque effort qu’il fasse , il ne peut ni se mouvoir pour se sauver, ni crier pour faire venir du secours ; ses sens sont glacés, sa langue engourdie, & tous ses membres sont devenus immobiles. Il reste pendant quelque temps dans cet état de pétrification , mais se rappelant enfin tout ce qu’il avait de courage pour se tirer de cet état violent, tout ce qu’il put faire fut de lâcher un coup de fusil contre l’objet qui lui faisait une si terrible frayeur; Mais cet expédient, loin de le rassurer, lui en cause une nouvelle, et si grande, qu’au moment que le coup part il tombe lui même à la renverse.
Au bruit qu’il fait l’Officier de garde accourt avec tous ses soldats. Ils font tous fort surpris de trouver celui qui était en sentinelle étendu sur le carreau, et le croient mort. En gens du métier pouvaient-ils s’imaginer que ce brave était mort de peur ? . . . Non assurément; aussi se persuadent-ils tous qu’il faut qu’on l’ait tué. Dans cette idée, on cherche l’assassin; tout est en rumeur dans le moment,chacun accourt au bruit; on va; on vient, on fait mille perquisitions; mais plus on cherche et moins on trouve ce que l’on cherche.
Enfin après bien des mouvements et des courses inutiles, on revient à cet homme pour lui donner du secours, en cas qu’il soit encore en vie, pour l’enterrer à son tour, supposé qu’il soit mort, comme tout le monde l’avait d’abord cru. On le tâte, on le visite, et l’on n’aperçoit ni sang, ni blessure, enfin l’on trouve qu’il n’a pas encore tout à fait perdu la respiration ».
On le secourt, et à force de sel d’ Angleterre, on le fait revenir. Dès qu’il a repris ses sens on lui demande qui l’a mis en cet état.
Il raconte bonnement ce qu’il croit avoir vu. Il jure même si haut et fort que la chose est vraie, que son officier est presque tenté de le croire malgré toute la répugnance qu’ont ses pareils à ajouter foi à ces sortes de visions qui passaient autrefois, et passent encore aujourd’hui parmi le peuple pour des réalités.”
Info retrouvée grâce au colloque de la Société Voltaire et la conférence de M. John R. Iverson, Withman College, Walla, Walla
Article ©PFDebert, Source gazette XVIIIe
Habit de Spectre : [estampe]Auteur : Joullain, François (1697-1778). GraveurAuteur : Gillot. Dessinateur du modèle
très belle histoire , frisson et passion pour ces recherches profondes de notre patrimoine ..merci !
Surtout très bien racontée par le chevalier de Mouhy !