Une robe honnête pour aller à Cireï

Madame de Graffigny, alias la Bonne Grosse, est de passage chez madame de Stainville à Demange-aux-Eaux, première étape de son long voyage pour Paris, et elle doit acheter une robe pour être présentable car sa deuxième étape est le château de Cirey, demeure où vivent Emilie du Châtelet et Voltaire, et visiblement la bonne Grosse n’a rien à se mettre pour s’y rendre…
Je ne change pas une virgule du savoureux passage qu’elle écrit à son ami Panpan Devaux, concernant la robe qu’elle a commandée à Paris et que voici :

« Je vis a Demange que la robe que j’avois acheté un louis a Comerci ne me passeroit pas l’hivert parce qu’elle est d’une mauvaise espesse. J’en ai acheté une d’un petit satin qui m’a couté deux louis, et trois ecu pour la façon et la doubleure. Dubois en a voulu avoir une d’indiene de pres d’un louis. Enfin, tant ce que j’ai doné aux domestiques qu’aux cochers de la cour et de la poste de Jouinville ici, il ne me restoit pas ce qui s’apelle un sol, et vous Jugez bien que cela me m etoit encore bien du malaise dans l’esprit. Je vais donc posseder quatre cent franc et je n’ai plus rien a acheter.
Pour ma robe, elle sera de canelé brun. Il coute autant que le damas. Il y faut encore une bavaroise et une coiffure honnête… Je compte bien qu’elle me fera quatre ou cinq hivers parce qu’étant brune elle est toujours de mode et que ces étoffes ne s’usent n’y ne se salissent de longtemps.

Il ne faut pas lui dire que j’ai eu vingt louis, car peut-etre elle n’entreroit pas dans la necessité ou j’etois d’avoir une robe honnete pour Cireï.
Novembre 1742

Images : Le tailleur – Scènes de vie de Pietro Longhi
Sources : Correspondance de madame de Graffigny. Correspondance, éd. de J. A. Dairard et coll., Oxford, The Voltaire Foundation.