Le déplacement de l’âme (texte extrait de l’Œuvre complète de Voltaire, 1785)
« Si ce qu’on appelle âme est immortelle »
« Mais je suppose (c Voltaire qui s’exprime), malgré toutes les vraisemblances, que Dieu conserve après la mort de l’homme ce qu’on appelle son âme, (…) je demande ce que l’esprit de Jacques a de commun avec Jacques quand il est mort ?
Ce qui constitue la personne de Jacques, ce qui fait que Jacques est soi-même, et le même qu’il était hier à ses propres yeux, c’est qu’il se ressouvient des idées qu’il avait hier, et que dans son entendement il unit son existence d’hier à celle d’aujourd’hui ; car s’il avait entièrement perdu la mémoire, son existence passée lui serait aussi étrangère que celle d’un autre homme ; il ne serait pas plus le Jacques d’hier, la même personne, qu’il ne serait Socrate ou César. Or, je suppose que Jacques, dans sa dernière maladie, a perdu absolument la mémoire, et meurt par conséquent sans être ce même Jacques qui a vécu : Dieu rendra-t-il à son âme cette mémoire qu’il a perdue ? créera-t-il de nouveau ces idées qui n’existent plus ? en ce cas, ne sera-ce pas un homme tout nouveau, aussi différent du premier qu’un Indien l’est d’un Européan ? »
Voltaire exprime par ce texte une question que beaucoup se posent (notamment concernant les personnes atteintes d’Alzheimer),
et il termine ainsi :
« Ces difficultés valent bien la peine d’être proposées; et celui qui trouvera une manière sûre de résoudre l’équation de cette inconnue sera, je pense, un habile homme. »