Diderot raconte de manière satirique l’histoire de Mme du “Du Barry”, notre lorraine légendaire.
Par l’intermédiaire de Jean-François Rameau (son interlocuteur imaginaire dans son livre Le neveu de Rameau), Diderot raconte la scène d’un proxénète séduisant une jeune fille.
Dans certaines éditions de son livre, le mot « proxénète » va tout simplement disparaître car la scène cocasse qu’il décrit ressemble étrangement à l’histoire de Mme Du Barry, dernière maîtresse en titre de Louis XV.
Voici un extrait de la scène :
[J-F Rameau se parlant à lui-même, et se demandant pourquoi il n’est pas capable de faire certaines choses pour devenir riche].
” Est-ce que tu ne saurais pas faire entendre à la fille d’un de nos bourgeois qu’elle est mal mise ; que de belles boucles d’oreilles, un peu de rouge, des dentelles, ou une robe à la polonaise, lui siéraient à ravir ? Que ces petits pieds-là ne sont pas faits pour marcher dans la rue ? Qu’il y a un beau monsieur, jeune et riche, qui a un habit galonné d’or, un superbe équipage, six grands laquais, qui l’a vue en passant, qui la trouve charmante, et que depuis ce jour-là il en a perdu le boire et le manger, qu’il n’en dort plus, et qu’il en mourra ?
— Mais mon papa ?
— Bon, bon, votre papa ! il s’en fâchera d’abord un peu.
— Et maman qui me recommande tant d’être honnête fille ; qui me dit qu’il n’y a rien dans ce monde que l’honneur ?
— Vieux propos qui ne signifient rien. …
— Et mon confesseur ?
— Vous ne le verrez plus ; ou si vous persistez dans la fantaisie d’aller lui faire l’histoire de vos amusements, il vous en coûtera quelques livres de sucre et de café.
— C’est un homme sévère, qui m’a refusé l’absolution pour la chanson, Viens dans ma cellule.
— C’est que vous n’aviez rien à lui donner : mais quand vous lui apparaîtrez en dentelles…
— J’aurai donc des dentelles ?
— Sans doute, et de toutes les sortes…, en belles boucles de diamants…
— J’aurai donc de belles boucles de diamants ?
— Oui.
— Comme celles de cette marquise qui vient quelquefois prendre des gants dans notre boutique. [Jeanne Bécu travaille dans une boutique]
— Précisément… dans un bel équipage avec des chevaux gris pommelés, deux grands laquais, un petit nègre [Zamor est le page de Madame du Barry], et le coureur en avant ; du rouge, des mouches, la queue portée.
— Au bal ?
— Au bal, à l’Opéra, à la Comédie… (déjà le cœur lui tressaillit de joie…)
— Tu joues avec un papier entre tes doigts. Qu’est-ce cela ?
— Ce n’est rien.
— Il me semble que si.
— C’est un billet.
— Et pour qui ?
— Pour vous, si vous étiez un peu curieuse.
— Curieuse ? je le suis beaucoup ; voyons (elle lit). Une entrevue ! cela ne se peut.
— En allant à la messe.
— Maman m’accompagne toujours ; mais s’il venait ici un peu matin, je me lève la première, et je suis au comptoir avant qu’on soit levé…
— Il vient, il plaît ; un beau jour, à la brune, la petite disparaît, et l’on me compte mes deux mille écus… “
©Madame du Barry by Francois Hubert Drouais
Diderot a quelque peu “maquillé” son histoire pour ne pas être accusé de diffamation…