Les jolis yeux de Rosalie

Ses œuvres rivalisent avec celles des plus grands miniaturistes de son époque, et pour cause, la peintre Rosalie Drouot est formée à la même école, celle de Frédéric Millet, formé lui même par Jean-Baptiste Isabey, lequel a reçu l’enseignement à Nancy, des peintres de la cour de Lorraine.

Sa conduite ayant déshonoré sa famille bourgeoise, Rosalie meurt seule, à 34 ans, empoisonnée par les pigments toxiques contenus dans les peintures qu’elle utilisait. Sa vie et son destin sont tragiques mais son œuvre, si belle et si sensible, est éternelle.


1er épisode
Septembre 1807, dans l’une des plus belles demeures de Nancy, au n ° 333 rue de Châteaufort (actuel n° 13 rue du Manège).
Les quatre filles de Nicolas Drouot sont en pleine effervescence. Elles attendent avec impatience l’arrivée d’un jeune étudiant en droit, de 17 ans, à qui leur père a décidé de louer une chambre.
L’idée d’accueillir ce jeune homme dans la famille a remporté l’adhésion de tous les enfants Drouot, y compris des plus petits, Auguste, 7 ans, et Désiré, 4 ans. Tous sont encore très affectés par la perte de leur chère maman décédée le 22 janvier 1806.
Pour accueillir leur hôte, Rosalie, 15 ans, Constance, 14 ans, Joséphine, 13 ans, portent leurs plus jolies robes. Elles sont postées derrière les rideaux de mousseline des fenêtres du salon et ont envoyé leur cadette, Charlotte, 10 ans, en bas de l’immeuble, pour surveiller l’arrivée tant attendue.
Soudain un bruit de sabots frappant les pavés se fait entendre et un carrosse s’arrête devant la porte d’entrée.
Charlotte se rue dans les escaliers de marbre en criant « Il arrive, il arrive ! »
La famille accueille chaleureusement Alexandre-Jules de Metz.
Le jeune homme est ébloui par le faste de la maison, car depuis que Nicolas Drouot, ancien marchand roulier, s’est enrichi en achetant des biens nationaux, la famille vit dans une demeure luxueuse. Glaces, tapisseries d’Aubusson, meubles en acajou, encoignures de laque, rien ne manque, mais ce qui éblouit le plus Alexandre-Jules, ce sont, sans aucun doute, les jolis yeux de Rosalie.

Mme Récamier par David.

2ème épisode
Le 26 juillet 1808, à 11 heures, au domicile de Mme Belhure, épicière, rue de la Fanerie à Troyes, Rosalie, 16 ans et demi, accouche d’un petit garçon blond aux yeux bleus. Le père reconnait l’enfant, présenté sous le nom d’Alexandre Jules Alphrède de Metz.
L’enfant est éloigné de sa mère, et placé dans une famille nourricière.

Alexandre Jules Alfred de Alexandre de Metz par Rosalie Drouot
Photographie © JeanFrancois Voogt 

3ème épisode.
Vers 1813, à Nancy, Rosalie peint sa première miniature et se révèle être une excellente artiste.
En 1820, la jeune peintre de 29 ans part à paris pour travailler dans l’atelier du peintre miniaturiste Frédéric Millet, rue Taitbout à paris, nommé « Atelier des dames ».
Rosalie loge dans une maison d’asile pour jeunes filles, créée et tenue par Mme Eugénie Millet, femme de son professeur et employeur.
Elle semble retrouver dans cet asile, un peu de chaleur humaine et écrit à sa sœur Charlotte :
«  […] je suis contente de ma pension et mon logement, on me témoigne de l’amitié ; il semblerait que les étrangers cherchassent à m’indemniser de la dureté que j’ai trouvée auprès des miens. », «  […] me voila sans doute séparée de ma famille sans trop savoir pourquoi. »

4ème épisode
Pendant six années, isolée de sa famille, Rosalie peint.
Nuit et jour, souffrant de somnambulisme, Rosalie peint.
Penchée sur son pupitre en bois de citron, Rosalie peint, humectant consciencieusement, du bout des lèvres, la pointe de son pinceau, afin de réaliser les minuscules détails dune dentelle, d’une perle, d’un sourire.
Dans les deux petites pièces qu’elle occupe, tout est peinture, sa boite de couleurs posée sur son pupitre, ses dessins, ses miniatures, ses aquarelles qui ornent les murs. Sa vie est peinture.
Elle est seule et ses revenus suffisent à peine à payer sa modeste pension.
On lui apporte une couverture pour l’hiver et une robe de velours bien chaude.
Pas de fête, pas de dimanche.
Les lettres de sa famille sont devenues si rares, alors Rosalie peint.
Et puis, en 1822, le talent de la jeune peintre est reconnu par le Tout-Paris, mais elle a du mal à répondre aux commandes qui affluent, de plus en plus nombreuses car elle est sujette régulièrement à de violentes violentes crampes d’estomac qui la tordent de douleur.

Immeubles 30, 32 et 34 rue des Bons-Enfants (démoli entre 1920-1925). Paris (Ier arr.). Photographie anonyme. Tirage au gélatino-bromure d’argent. Paris, musée Carnavalet.

5ème épisode
Le 8 avril 1826, 34 rue des Bons Enfants à Paris.
Dans sa chambre, éclairée par deux croisées donnant sur la cour, Rosalie est alitée. La pendule de bronze doré égraine doucement ses dernières heures. Au dessus de son lit en bois d’acajou, on devine les minuscules sourires de ses portraits de famille, celui de sa sœur Charlotte, celui de son père, de son fils, de son frère…
A droite de l’alcôve, sont accrochés ses deux chapeaux de velours noir, et sa robe de percale.
Rosalie a déposé sur son petit bureau en bois d’acajou, une dernière lettre, adressée à son fils, et que balaie doucement un rayon de soleil :
« […] Ah si je pouvais voir le printemps et me promener, appuyée sur le bras de mon fils, il me semble que la nature me paraîtrait plus belle que jamais. […] »
Rosalie décède le 8 avril 1826, seule, loin des siens, empoisonnée par les pigments toxiques de ses peintures contenant de l’arsenic, du mercure et de l’antimoine.
Elle avait 34 ans. Elle est inhumée au cimetière de Montmartre, ligne 4, 72e tombe.

NB : cette histoire vraie est à remettre dans le contexte de l’époque.
Source Rosalie Drouot. Une miniaturiste lorraine, un nouveau regard… Thèse de Lydia Antiga, 2015. Ville de Lunéville.

Ses miniatures et dessins sont à découvrir actuellement à l’Hôtel abbatial de Lunéville.
Soyer, Père & Fils
Miniaturiste et scientifique
au cœur de l’Empire

Charlotte Drouot par Rosalie Drouot
Photographie © JeanFrancois Voogt  
Autoportrait de Rosalie
Portrait de Constance Drouot par Rosalie.
Photographie © JeanFrancois Voogt  
Portrait d’homme par Rosalie Drouot
Photographie © JeanFrancois Voogt 
Robe Empire, détail d’une broderie.
Collection le Paon de soie. Exposition Soyer Père & Fils, Hôtel abbatial de Lunéville.
Photographie © PFDebert
Portrait de femme par Rosalie Drouot
Photographie © JeanFrancois Voogt 
Portrait de Frédéric Millet
par Rosalie Drouot.
Photographie © JeanFrancois Voogt  
Le père de l’enfant de Rosalie.
Alexandre-Jules de Metz.

2 Replies to “Les jolis yeux de Rosalie”

  1. Bonsoir,
    L’histoire de Rosalie Drouot ne peut me laisser indifférent, en effet le jeune étudiant indélicat est un aïeul direct, et encore en 2024 la galipette n’a pas été oubliée par sa descendance ! J’ai reçu de mes parents le portrait charmant (évidemment en miniature) d’Alfred, fils unique de Rosalie, réalisé par sa mère alors qu’il avait 10 ans environ.
    Quelle tristesse!
    Patrick.

    1. Bonjour et merci pour votre commentaire. Pour écrire la biographie de Rosalie Drouot, je me suis inspirée de la thèse de Lydia Antiga, 2015.
      J’ai enquêté sur chaque point pour retrouver les lieux exacts de sa vie à Paris, les ambiances d’époque, ses professeurs, etc.
      La condition des femmes artistes étaient très dures à l’époque, surtout lorsqu’elles n’étaient pas soutenues par leur famille.
      Triste destin de Rosalie !
      Si vous voulez enrichir cet article, vous pouvez m’envoyer le portrait de son fils, debert.pascale@wanadoo.fr.
      Bien amicalement, Pascale

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