1er épisode
[Dédicace spéciale à Tina]
1744, un matin sur la plage de l’Anse à Gorée au Sénégal.
Des femmes et des enfants, liés entre eux par des chaînes et des cordes, avancent difficilement sur le sable doré de la plage,
Ils quittent à jamais le royaume meurtri de Galaam.
Parmi eux, Niama.
La fillette de 9 ans laisse derrière elle ses frères, son père, son grand-père, ses oncles et tous les hommes de Galaam exécutés dans une lutte fratricide provoquée par le climat généré par des européens avides des richesses de son pays.
Niama est née dans le village de Tuabou, sur la rive gauche du Haut-Sénégal, à quelques kilomètres de Bakel, au cœur du pays sarakollé.
Elle est la petite-fille de Tonca (Tounka) Niama, roi du Gajaaga ou Galam ou Galaam, un pays riche en or qui attise la convoitise des colons européens.
La fillette est née trop tard. Elle est née dans la tourmente et n’a jamais connu la paix dont parlaient ses ancêtres. Cette paix savamment tissée par les habitants des royaumes du Fleuve, peuples dont les voyageurs traversant l’empire du Mali vantaient les belles qualités.
Niama n’a connu que la guerre.
Perdue dans cette file interminable, elle marche et se penche de temps en temps pour apercevoir sa mère ou l’une de ses sœurs.
Capturée avec des centaines de personnes pour être vendue aux agents de la compagnie du Sénégal, nommée « comptoir de Saint-Louis », la petite princesse ne sait pas encore qu’elle vient de perdre sa liberté.
2ème épisode
Les captifs pris à Galaam sont incarcérés dans le fort de l’Anse à Gorée pour la nuit. Les familles sont séparées.
Le lendemain matin, choisie parmi 1000 esclaves par Pierre David, fils d’un directeur de la Compagnie et gouverneur de la colonie du Sénégal, Niama est jetée dans les cales du vaisseau [peut-être alors « la Favorite »],
Voici le témoignage du gouverneur qui a organisé « la Grande Traite au Galaam » :
« Mon premier soin, le lendemain, fut d’ordonner la prompte expédition du vaisseau la Favorite qui s’était rendu au Sénégal le 28 septembre. Je fis donner à ce vaisseau le choix des noirs que avions choisi en Galaam et le renvoyait à Gorée monter ses pièces, faire son eau et y compléter son chargement de 450 têtes. »
« Esclave de la Compagnie » au service de Pierre David, à Saint-Louis (actuelle île de La Réunion), Niama, de confession musulmane, doit se convertir au catholicisme et apprendre le français, comme l’exige la loi :
« Tous les esclaves introduits dans les îles Bourbon, de France et autres établissements voisins doivent être instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine et baptisés, à peine d’amende arbitraire. »
Niama est baptisée et reçoit les prénoms de Marie-Geneviève.
3ème épisode
En 1746, Pierre David est nommé nouveau gouverneur général des îles de France et de Bourbon. Il vend Niama à un employé de la Compagnie, Jean-Baptiste Geoffroy.
Jean-Baptiste Geoffroy est né au début du XVIIIe siècle à Auxerre.
Le jeune homme a quitté sa Bourgogne natale pour entrer au service de la Compagnie des Indes et arrive à l’île de France en 1742.
Ingénieur et peintre de talent, Geoffroy est un homme des Lumières et apprécie les philosophes.
Résidant à Port-Louis (île Maurice), il obtient de la Compagnie la concession d’un terrain à la Montagne-Longue et achète la jeune Niama dont il tombera, plus tard, amoureux.
Les colons sont frappés par des maladies diverses et terrible telles que la gale, les clous (furoncles), les vers, les maux de ventre, de tête, les fièvres, la grippe, les palpitations, mais aussi, plus graves, les dysenteries putrides, la vérole et la variole volante, la fièvre rouge et l’éthisie pulmonaires, le “mal de mouton”, la rage et le tétanos…. [source : journal de Jean-Baptiste Renoyal de Lescouble, début du XIXe siècle]
Geoffroy n’est pas épargné et tombe gravement malade.
Niama le soigne admirablement, pendant deux longues années, en utilisant les remèdes curatifs locaux. Elle l’entoure de soins attentionnés, améliore son alimentation et le veille sans répit jusqu’à sa guérison.
Les témoignages sur le caractère de la jeune fille soulignent sa grande douceur, sa modestie, sa vive sensibilité et sa réserve naturelle.
P. Legras fait d’elle ce portrait à replacer dans le contexte de l’époque : « C’était une femme ordinaire, d’assez grande taille. Sa figure ne portait aucune trace de tatouage. »
4ème épisode
Le 20 novembre 1751, Niama accouche d’une petite Jeanne Thérèse baptisée par le prêtre de la paroisse Saint-Louis au Port-Louis.
Vers 1752, le jeune couple déménage et s’installe à Bourbon, dans le quartier de la Rivière d’Abord, à l’islet Bassin Plat.
En août 1755, Niama donne naissance à Jean-Baptiste, qui reçoit aussi le surnom de « Lislet ». L’enfant est baptisé dans l’église de Saint-Pierre par le curé Desbeurs.
C’est aussi le 23 août 1755 que Niama retrouve sa liberté.
Elle est affranchie par un acte notarié : « Le 23 août avant midi, le sieur Jean-Baptiste Geoffroy donne pleine et entière liberté à la nommée Niama, négresse guinée, son esclave, pour qu’elle jouisse des privilèges mentionnés aux dites lettres… »
5ème épisode
Niama donne naissance a deux autres garçons : Louis, né en 1758, et Jean-François, né en 1764.
En ayant affranchi Niama, la mère de ses enfants, Jean-Baptiste Geoffroy fait aussi de ses enfants des hommes et des femmes libres, mais la société lui interdit d’épouser Niama et de reconnaître légalement leurs enfants.(Article 6 du Code Noir)
6ème épisode
En 1771, la petite famille quitte Bourbon pour l’île de France où l’aîné des garçons, Jean-Baptiste Lisley commence une carrière scientifique.
Ses travaux de cartographie, de météorologie, d’astronomie lui valent l’admiration et le respect des plus grands. Il est nommé dessinateur au génie militaire de France.
En 1780, Niama a la douleur de perdre son fils Louis, engagé dans le corps des Volontaires de Bourbon.
En 1786, elle a le bonheur de voir Jean-Baptiste nommé membre correspondant de l’Académie royale des sciences.
En 1789, le malheur la frappe à nouveau avec la mort de son fils Jean-François.
Le 23 juin 1794, la loi sur l’adoption ayant été modifiée par la Révolution, Jean-Baptiste Geoffroy fait établir un acte notarié où il déclare qu’il adopte son fils Jean Baptiste Lislet :
« N’ayant ni enfants, ni parents qui fussent venues le rejoindre à Bourbon ; mû d’une vive tendresse pour le fils de Marie-Geneviève Niama, il adopte pour son fils, Jean-Baptiste Lislet, né le 23 août 1755, fils de Marie-Geneviève Niama ; voulant qu’il prenne son nom et partage comme tel sa succession. »
Source
Jean-Baptiste Lislet Geoffroy est astronome, botaniste, cartographe et géologue. En 1786, il est le correspondant de l’Académie des sciences de Paris. Un an plus tard, alors qu’il a 32 ans, il obtient la commission d’ingénieur géographe et cartographie les îles de l’océan Indien, des Seychelles à Madagascar.
Niama est la cinquième femme affranchie de Bourbon, elle obtient une concession jouxtant celle de Monsieur Geoffroy. En 1798, après la mort de celui qui n’aura jamais pu être officiellement son mari, elle rejoint son fils aîné, Lislet Geoffroy, installé à Port-Louis. Elle meurt en 1809, à l’âge de 75 ans.
Je commence par journée avec vous, Pascale (et avec Niama !).
Merci. Je vous souhaite une très agréable journée !
jpf
merci pour ce texte très émouvant et sans fard sur la société Française du 18eme; et oui , nous étions aussi esclavagistes!!!
Quelle histoire extraordinaire que celle du savant Jean Baptiste Lislet et de sa mère Niama .
Bravo Pascale pour avoir déniché
ce destin hors du commun !