Au XVIIIe s., à Paris, à la moindre averse, des ruisseaux boueux dévalent les rues et les ruelles, coupant la communication entre les deux cotés des maisons.
Regarder les petits maîtres en perruque sauter comme des cabris pour éviter de tacher leur bas blancs est un spectacle unique. Heureusement, les décrotteurs sont là pour nettoyer les escarpins !
La boue est si spécifique à la capitale que la couleur « Boue de Paris » est très en vogue dans les années 1780.
« Rien ne doit plus divertir un étranger, que de voir un
Parisien traverser ou sauter un ruisseau fangeux avec
une perruque à trois marteaux, des bas blancs & un
habit galonné, courir dans de vilaines rues sur la
pointe du pied, recevoir le fleuve des gouttières
sur un parasol de taffetas »
Voici le texte entier et succulent de Louis-Sébastien Mercier, 1784
Un large ruisseau coupe quelquefois une rue en
deux , & de manière à interrompre la communication
entre les deux côtés des maisons. A la moindre
averse il faut dresser des ponts tremblants. Rien
ne doit plus divertir un étranger, que de voir un
Parisien traverser ou sauter un ruisseau fangeux avec
une perruque à trois marteaux, des bas blancs & un
habit galonné, courir dans de vilaines rues sur la
pointe du pied, recevoir le fleuve des gouttières
sur un parasol de taffetas. Quelles gambades ne fait
pas celui qui a entrepris d’aller du fauxbourg St-Jacques
dîner au fauxbourg Sr. Honoré, en se défendant
de la crotte & des toits qui dégouttent !
Des tas de boue, un pavé glissant, des essieux gras,
que d’écueils à éviter! Il aborde néanmoins. A chaque
coin de rue il a appelé un décrotteur. Il en
est quitte pour quelques mouches à ses bas. Par
quel miracle a-t-il traversé sans autre encombre la
ville du monde la plus sale ? Comment marcher
dans la fange en conservant ses escarpins ? Oh ! c’est
un secret particulier aux Parisiens, & je ne con-
seille pas à d’autres de vouloir les imiter.
Pourquoi ne pas s’habiller conformément à la
boue & à la poussière ? Pourquoi prendre à pied
un vêtement qui ne convient qu’à celui qui roule
dans une voiture ? Pourquoi n’avoir pas des trottoirs,
comme à Londres ?
Titre : Tableau de Paris. Tome 1 / . Nouvelle édition corrigée & augmentée.
Auteur : Mercier, Louis-Sébastien (1740-1814). Auteur du texte
Éditeur : A Amsterdam. M. DCC. LXXXIII.
Date d’édition : 1783