Le Melon

Quelle odeur sens-je en cette Chambre ?
Quel doux parfum de Musc & d’Ambre
Me vient le cerveau réjouir,
Et tout le coeur épanouir ?
Hà bon Dieu ! J’en tombe en extase ;
Ces belles fleurs qui dans ce Vase
Parent le haut de ce Buffet,
Feraient-elles bien cet effet ;
A-t-on bruslé de la pastille ?
N’est-ce point ce vin qui pétille
Dans ce Cristal, que l’Art humain
A fait pour couronner la main?
Et d’où sort quand on en veut boire
Un air de Framboise, à la gloire
Du bon terroir, qui l’a porté
Pour nostre éternelle santé ;
Non, ce n’est rien d’entre ces choses
Mon penser, que tu me proposes.
Qu’est-ce-donc ? Je l’ay découvert
Dans ce panier remply de vert,
C’est un Melon, où la Nature,
Par une admirable Structure,
A voulu graver à l’entour
Mille plaisans chiffres d’Amour,
Pour claire marque à tout le monde
Que d’une amitié sans seconde
Elle chérit ce doux manger,
Et que d’un soucy ménager
Travaillant aux biens de la terre,
Dans ce beau fruit seule elle enserre
Toutes les aimables vertus,
Dont les autres sont revestus.
Baillez-le moy, je vous en prie,
Que j’en commette idolâtrie,
0 quel odeur ! qu’il est pesant !
Et qu’il me charme en le baisant !
Page, un Couteau que je l’entame.
Mais qu’auparavant on réclame,
Par des soins au devoir instruits,
Pomone qui preside aux fruits,
Afin qu’au goust il se rencontre
Aussi bon qu’il a belle montre,
Et qu’on ne trouve point en luy
Le deffaut des gens d’aujourd’huy.
Etc.
Marc-Antoine Girard de Saint-Amant, 1642
Illustration, Jean-Siméon Chardin, Le Melon entamé, 1760.

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