Les Jonquilles
J’allais solitaire, ainsi qu’un nuage
Qui plane au dessus des vaux et des monts.
Quand soudain, je vis, en foule,
Des jonquilles d’or, une légion,
A côté du lac, sous les branches grises,
Flottant et dansant, gaiement à la brise.
Serrées comme sont au ciel les étoiles
Qu’on voit scintiller sur la voie lactée,
Elles s’étendaient, sans un intervalle,
Le long du rivage, au creux d’une baie.
J’en vis d’un coup d’œil des milliers,
je pense, Agitant la tête, en leur folle danse.
Les vagues dansaient pleines d’étincelles
Mais elles dansaient plus allègrement.
Pouvais-je rester, poète, auprès d’elles,
Sans être gagé par leur enjouement ?
L’œil fixe, ébloui, je ne songeais guère
Au riche présent qui m’était offert.
Car si je repose, absent ou songeur,
Souvent leur vision, Ô béatitude !
Vient illuminer l’œil intérieur
Qui fait le bonheur de la solitude.
Et mon cœur alors, débordant, pétille
De plaisir, et danse avec les jonquilles.
William Wordsworth (1770-1850)
traduction de François-René Daillie
Daffodils
I wandered lonely as a cloud
That floats on high o’er vales and hills,
When all at once I saw a crowd,
A host of golden daffodils;
Beside the lake, beneath the trees,
Fluttering and dancing in the breeze.
Continuous as the stars that shine
and twinkle on the Milky Way,
They stretched in never-ending line
along the margin of a bay:
Ten thousand saw I at a glance,
tossing their heads in sprightly dance.
The waves beside them danced; but they
Out-did the sparkling waves in glee:
A poet could not be but gay,
in such a jocund company:
I gazed—and gazed—but little thought
what wealth the show to me had brought:
For oft, when on my couch I lie
In vacant or in pensive mood,
They flash upon that inward eye
Which is the bliss of solitude;
And then my heart with pleasure fills,
And dances with the daffodils.