Il y avait en 1743, parmi ses actrices de l’Opéra les mieux accueillies, une jeune femme à qui revenaient presque toujours les rôles excentriques et les danses bouffonnes. Elle s’appelait mademoiselle Sauvage. Le public, ravi de sa gentillesse, lui avait donné le surnom plaisant et caractéristique de Ma mie Babichon. Ma mie Babichon, petit diable d’une grâce irrésistible, était blonde, fraiche, rosée comme une cerise, de taille moyenne, mais si mignonne, si légère et si vive, qu’elle enlevait
tous les bravos, dés qu’elle mettait le pied sur la scène. Son caractère, en parfaite harmonie avec l’extérieur de sa personne, se composait de vivacité, de franchise et de gaîté. Rire, folâtrer, inventer des malices, telle était la vie de cette aimable fille, bonne, du reste, et toujours prête à rendre service. On ne lui connaissait qu’un travers, un seul, bien pardonnable la haine des perruques.
Le 18 février 174S, contre son habitude, elle semblait maussade et nerveuse. Il pleuvait et elle boudait contre la pluie. Après avoir poli ses ongles roses, taquiné sa chienne, détraqué sa pendule, de désespoir et d’ennui elle s’était jetée sur un canapé et voulait dormir. Pur caprice ! A-t-on jamais vu dormir à dix heures du matin ? Aussi l’agacement de nerfs, qui était la cause de ses impatiences, allait peut-être finir par une crise, quand on vint lui annoncer que le bonhomme Léger, valet de M. Favart, demandait instamment à la voir. — Qu’il entre ! s’écria l’actrice. Je m’ennuie à pleurer. (extrait Eclats de rire, Maurice Rollin, 1881)
Voici le texte original de la farce que joua Ma Mie Babichon, édité sur La Feuille sans titre (mercredi 26 mars 1777)
Ma mie Babichon (1745)
“A la répétition générale des Fêtes Publiques, opéra comique à l’occasion du mariage de Monseigneur le Dauphin, Mlle. S. connue sous le nom de ma mie Babichon, se glissa derriere le banc des Symphonistes qui étoient rangés sur une ligne dans l’Orchestre.
Ces Musiciens avoient des perruques : Babichon y entortilla des hameçons qu’elle avoit préparés avec des crins imperceptibles. Ces crins se réunissoient à un fil de rappel qui répondoit aux troisièmes loges. Babichon y monte, attend qu’on donne le signal pour l’ouverture. Au premier coup d’archet, la toile se leve & les perruques s’envolent toutes en même tems.
M. B., directeur du grand Opéra, qui présidoit à cette répétition avec toute sa dignité, scandalisé d’une pareille indécence voulut en connoître l’Auteur pour le faire punir. Babichon qui avoit eu le tems de descendre étoit auprès de lui, & haussoit les épaules en joignant les mains ; mais on connu à son air modeste que c’étoit elle qui avoit fait le coup, elle l’avoua ; & dit à M. B. :
Hélas Monsieur je vous supplie de me pardonner c’est un effet de l’antipathie que j’ai pour les perruques ; & même, au moment que je parle, malgré le respect que je vous dois, je ne puis m’empêcher de me jetter sur la vôtre ; ce qu’elle fit en prenant la fuite aussi-tôt. Chacun dit qu’il falloit venger l’honneur des têtes à perruques. Babichon fut mandée le lendemain à la Police ; mais elle raconta l’histoire si naïvement & d’une façon si plaisante, que le Magistrat s’épouffoit de rire en la grondant. Elle en fut quitte pour une mercuriale.”
Article d’après “L’Archiviste Frénétique”
Extrait de : La Feuille sans titre (mercredi 26 mars 1777)
Illustration :
Mademoiselle Sauvage, dite Ma mie Babichon
Anecdote trouvée par “L’Archiviste Frénétique”
Illustration de couverture : Marie-Françoise de SAINT-AUBIN