Je viens (enfin*) de lire Ourika de Claire de Duras (1777-1828).
L’écrivaine, s’inspire d’une histoire vraie pour écrire son ouvrage publié anonymement en 1823.
*Je l’avais mis de coté parce que je pensais qu’il était très romancé, mais non !
C’est un ouvrage éblouissant, best seller à son époque, qui a bouleversé jusqu’à Goethe !
Etudié par les collégiens, ce texte, à remettre bien évidemment dans le contexte de son époque, est vraiment très touchant.
Il parle d’une jeune fille sénégalaise perdue dans la société aristocratique de la fin du XVIIIe siècle.
La force de l’ouvrage de Claire de Duras est qu’elle s’inspire de faits réels pour parler du racisme et de la condition des femmes. Tout est si vrai que cela en devient troublant.
Voici la véritable histoire d’Ourika dont les protagonistes sont nés à la cour de Lunéville :
« Sauvée » de l’esclavagisme en 1786 par le chevalier de Boufflers (1) et confiée au maréchal de Beauvau (2) et à sa seconde seconde épouse (3), Ourika, petite sénégalaise âgée de 3 ans, est élevée comme leur propre enfant. C’est à dire sans distinction de genre et de couleur. Elle passe son enfance avec sa famille dans l’hôtel de Beauvau (4). On est alors en pleine tourmente révolutionnaire.
Le maréchal décède en 1793. L’hôtel de Beauvau est vendu en 1795. Ourika décède de langueur dans les bras de sa mère, en 1799, elle a 16 ans.
Tout cela est vrai.
Dans son livre, Claire de Duras précise qu’Ourika a sans doute été élevée avec les deux petits-enfants (5) du maréchal et de sa première épouse : Charles et Juste de Noailles, qui ont 6 et 12 ans de plus qu’Ourika, et elle ajoute seulement quelques années de vie à Ourika pour pouvoir lui donner la parole et ainsi recueillir son histoire.
L’autrice se glisse littéralement dans la peau de la jeune fille afin d’exprimer avec beaucoup de justesse son désespoir.
Evidemment, cela brouille les frontières entre fiction et réalité, et c’est cela qui est intéressant.
Les Souvenirs de la maréchale princesse de Beauvau (née Rohan-Chabot) sont peut-être la source de cet étonnant récit qui nous montre le ressenti d’une personne qui tente de comprendre ce qui la rend différente mais qui, avec raison, n’y parvient pas.
Ourika A lire ici
(1) Stanislas de Boufflers, neveu du maréchal et gouverneur du Sénégal
(2) Charles-Just de Beauvau Craon né à Lunéville en 1720, décédé en 1793.
(3) Marie-Charlotte-sylvie de Rohan-Chabot (1729-1807)
(4) Hôtel de Beauvau, actuel ministère français de l’Intérieur
(5) Charles (1771 – 1834) et Juste (1777 – 1846), enfants d ‘Anne Louise de Beauvau-Craon, mariée le 9 septembre 1767 à Paris, avec Philippe de Noailles (1752 – 1819), prince de Poix, pair de France.
Ci-suit un texte accablant avec, malgré tout, un portrait d’Ourika si beau. Mais une une fois encore il est remettre dans le contexte de l’époque, qui était tout à fait horrible.
Journal du chevalier de Boufflers au Sénégal
à Eléonore de Sabran, 1786
” J’achète en ce moment une petite négresse de deux ou trois ans […] Si le bâtiment qui doit la porter tarde quelque temps à partir, je ne sais pas comment j’aurai la force e m’en séparer. Elle est jolie, non pas comme le jour, mais comme la nuit. Ses yeux sont comme de petites étoiles, et son maintien est si doux, si tranquille, que je me sens touché aux larmes en pensant que cette pauvre enfant m’a été vendue comme un petit agneau. Elle ne parle pas encore, mais elle entend ce qu’on lui dit. […] “
Voici un extrait des Souvenirs de la maréchale de Beauvau
[…]Je croyais ne pouvoir plus éprouver de grandes douleurs …/…
La mort d’une enfant de seize ans vient de rouvrir toutes mes plaies. Cette enfant, donnée à Monsieur de Beauvau, sans que ni lui ni moi l’eussions désirée, était devenue promptement pour lui un objet d’intérêt, de goût, de tendresse;…/…
Elle était née avec beaucoup d’esprit; et la qualité la plus remarquable de son esprit, était une justesse et un goût naturel, qui me surpre- naient à tout moment dans les lectures que nous faisions ensemble. Sa pureté ne pouvait se comparer qu’à celle des Anges.
Elle avait une fierté douce et modeste, une pudeur naturelle, qui l’aurait préservée à jamais des inconvénients que son âge, son état, sa figure, sa couleur auraient pu faire craindre pour elle ; …/… et elle m’est enlevée à seize ans; et moi, vieille, affligée, malheureuse, qui la regardais comme ma consolation, comme mon soutien pour le reste de mes tristes jours, je suis condamnée à la pleurer. …/…
La mort de ma chère Ourika a été douce comme sa vie ; elle n’a pas connu son danger, et les plus affectueux, les plus tendres soins, lui ont été prodigués jusqu’à ses derniers moments, par ceux qui me sont attachés et qui la pleurent avec moi.
Dans les souvenirs de la Maréchale on peut lire en annexe des lettres adressées par Jacques Necker, banquier suisse protestant qui tenta en vain de redresser les finances de Louis 16 et par ailleurs père de l’écrivaine Germaine Necker, Mme de Stael
Devenu veuf , il tente avec émotion et déférence de consoler la maréchale du deuil de sa fille adoptive : on discerne aussi une nostalgie tendre. “je me représente bien le vide que fait dans votre mélancolique solitude la perte d’une jeune personne
intéressante par elle-même et à qui vous apportiez à chaque instant d’ineffables souvenirs. Ah combien je m’associe à tous vos sentiments…”
Bonjour et merci pour ce texte émouvant qui enrichit cet article.
Bien amicalement Pascale